La transparence
Par MH. Bailly, août 2024
La traditionnelle fête des Bourdon était un petit clou de la saison varoise. Leur propriété, bordée de pins centenaires, décorée d’un dépouillement ostentatoire, était finalement luxueuse : chacun savait en y pénétrant qu’il n’était pas besoin d’en faire étalage. Il n’était pas question de faire partie de leur cercle, depuis tant d’années, celui-ci s’était formé et consolidé jusqu’à aujourd’hui. On se recevait régulièrement tout au long de la saison avec ce trait d’union qui était la force du groupe : grandes écoles, CAC 40, ISF, le tout cousu dans une douillette bondieuserie.
Ils étaient huit couples avec leurs enfants, chacun sorte d’appartement témoin de la Macronie.
Laurence, la maîtresse de maison, avait accueilli les invités tandis que son mari n’était pas encore descendu. Ils étaient habitués aux petites excentricités de Xavier. Souvent mutique, il offrait à tous des sourires délicieusement polis, il riait même parfois aux blagues éculées de ce groupe d’amis reçus par sa femme.
Car oui, depuis tant d’années, mari modèle, employé dévoué, père investi quand Laurence, d’un signe agacé, lui intimait l’ordre d’intervenir, il assurait.
Aujourd’hui, il était fatigué. Peu à peu, sa voix s’était d’ailleurs éteinte. Le grillon du foyer, c’était Laurence, tourbillonnante libellule attentive aux désirs de chacun, pilotant cette fête comme le quotidien : avec l’Esprit Saint entre les siens, et dans l’attente que Xavier la voie à nouveau.
Fatigué de la photo de mariage sur la console Louis-Philippe (qui pèse un âne mort quand il prend à Laurence l’idée de la changer de place), déçu de ne pouvoir partager sa récente passion pour la course à pied (Papa, j’ai lu un article comme quoi, le « running est le sport des hommes urbains, en couple, socialement intégrés et dotés d’un pouvoir d’achat pour ne pas trop s’en faire, mais voilà, le problème, c’est que Xav’ se fait chier. Oui, il s’emmerde »), il rentrait néanmoins tous les soirs à la maison, mais souvent un peu plus tard que de raison.
La course à pied était bien le seul moment où il pouvait être tranquille sans qu’Elle lui demande de réparer un truc, descendre la poubelle, « Six œufs, non plutôt douze et fais attention à la qualité des pommes, nous n’avons pas les moyens de gâcher, Ah, Ah, Ah ! ». En courant, il oubliait ces sacrés dîners interminables avec le club de théâtre, les soirées silencieuses tout au long de l’année où, elle, les yeux rivés sur son ordinateur à regarder un film, lui, sur son téléphone à traficoter Dieu sait quoi.
Alors, lors de la soirée annuelle, il prenait son temps avant de descendre, il la laissait décrire leur quotidien idyllique dans leur nouvel hôtel particulier du 6e arrondissement et les projets d’extension qui leur permettra de profiter d’une vue panoramique.
Lui, courbait la tête sur son grand verre d’eau plate. Encore une belle fête de passée.
L’année prochaine, il aurait peut-être le courage de parler.
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