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Écrire l’ordinaire





Consigne ordinaire pour écrivants pas ordinaires
L’ordinaire est un plat pays, un vocabulaire sans saveur qui rime avec populaire. On le laisse volontiers au vestiaire. Pour plus tard. Routine gangreneuse ou paix heureuse, l’ordinaire a tantôt la mine vulgaire, aux relents de mépris, ou l’air sobre des réjouis.


Si la langue nous autorise à « sortir de l’ordinaire », on ne peut y « entrer ». Serions-nous tous condamnés à quitter l’ordinaire ou, à défaut, y rester ? Ceux qui en sortent pénètrent-t-ils dans l’extraordinaire ?

 

Mépriser l’ordinaire, c’est oublier la grâce des jours qui se déplient et dont l’envers sonne la fin.

 

Ordinaires, les rescapés de La Méduse, les danseuses de Degas, les ivrognes de Toulouse-Lautrec, les soleils de Van Gogh qui attirent les foules ? Que dire des Tahitiennes de Gauguin qui, logées au musée d’Orsay, n’ont rien d’ordinaire ? On s’y perd ! Tout est ordinaire et rien de l’est.

Ordinaire, le sexe de L’Origine du Monde ne l’est pas. C’est l’intention, le talent et le regard de l’artiste qui offre à l’ordinaire son reflet peu ordinaire.

 

Premiers rôles des nouvelles de Ray Carver, d’Annie Saumont, de Carson McCullers ou de Régis Jauffret, figurants de supermarchés d’Annie Ernaux, personnages de Jean-Philippe Toussaint, bien après les Ricains de Steinbeck ou de John Fante, les miséreux de Jack London, les paumés en zones de transit, les banlieusards du métro… Les personnes ordinaires ont inspiré nombre de fictions pas ordinaires.

 

L’ordinaire est une maison bleue accrochée à la colline, ouverte à tous les vents. On y entre sans frapper. On a perdu la clé.

L’ordinaire, c’est La Joconde qui fait le trottoir, le Cri de Munch à Alep.

Les croissants, le vin des jours sans fête, et le soir des beurres noirs.

 

Écrire l’ordinaire, c’est défricher nos préjugés, promener nos petits arrangements. C’est aussi mettre en lumière, comme Philippe Delerm, les petits riens de la vie.

Écrire l’ordinaire. Fouiller le sol, ciseler le préfixe oublié de ce mot maltraité, guenille abandonnée au porte-manteau de l’existence. Ordinaire. Défroisser le papier chiffonné trouvé dans la poubelle, les jours qui s’emmitouflent, les raisins du temps qui éclatent sous les pas.

Donner la voix aux oubliés, raconter ceux qui s’accrochent, dans leur costume, les naufragés sur la coque, les bienheureux endormis sur le pont. Les gagnants qui, de l’autre côté du miroir, perdent parfois.

 

Écrire l’ordinaire du jour qui se lève sur Versailles-chantiers, le même pour le cadre et l’employé, la vie de bureau à la banque ou dans les assurances, en Ephad ou à Polemploi, l’ordinaire des vies qui se suivent, des lendemains qui s’écrasent les uns sur les autres, l’ordinaire de l’entre-nous et de l’autre soi-même.

 

Écrire l’ordinaire qui glisse sur les palais désertés de nos rêves. L’ordinaire, le sang de la poésie. L’or de la vie qui s’écoule. Extraordinaire.

 

Écrire l’ordinaire n’a rien d’ordinaire. Exalter la beauté cachée, celle que l’on n’ose regarder, est un défi qui s’écrit avec des mots ordinaires. Le paradoxe réversible, le tout et rien de l’écrivain.

 

V.LD

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