PELOUSES INTERDITES.
Des enfants couraient dans tous les sens dans le parc de la cité Bel-Air. Le jardin d'enfants, situé au coeur de la résidence, fonctionnait comme l'organe principal de ces tours en béton qui nous servaient de logements. Des groupes de femmes trônaient à l'entrée du parc. Assises sur le seul banc à l'ombre, une armada de poussettes barricadaient leur emplacement privilégié. Au centre, la cage à poules dominait les autres jeux éparpillés ici et là. La baleine, le tourniquet avec une de ses planches cassée, tournait sans fin et sans personne. Tous ces jeux sans intérêt sentaient la tristesse urbaine. La voie d'une mère brisait la cacophonie ambiante en appelant son fils du 4ème étage, c'était l'heure du goûter. Pain et Chocolat à croquer. C'était le meilleur moment de la journée, le calme s'installait pour quelques instants.
Chat Glacé ! Une voix stridente venait fendre ce moment de tranquillité et relançait le rythme infernal des jeux, des éclats de rire et des courses folles. Nous piétinions avec un certain plaisir les pelouses interdites en rétorquant au gardien que ce n'était pas notre faute que c'était la faute du jeu. Le square se vidait peu à peu au rythme des obligations de chacun, les nourrices partaient en premier. Nous, nous restions là jusqu'à la tombée de la nuit, c'était redevenu notre square. Les ombres des cèdres centenaires dessinaient au sol des formes menaçantes que nous pourchassions inlassablement. Nous étions des chevaliers extraordinaires chargés de protéger la planète. La nuit s'installait doucement et nous enveloppait dans son épaisseur molle. Elle absorbait dans sa noirceur singulière toutes les formes hideuses qui nous entouraient. A Table ! Grondait mon père. Sa voie brutale venait systématiquement interrompre ces moments suspendus dans le temps où nos jeux d'enfants nous laissaient penser que tout était possible.
Stéfanie B.
Jardin du Luxembourg, juin 2014, Paris
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